Si vous ne pouvez pas aller au théâtre ce soir, pas de panique… Le théâtre est aussi là, tout près, juste à côté. Ouvrez les yeux, la pièce va commencer !

"La vie est une pièce de théâtre: ce qui compte, ce n'est pas qu'elle dure longtemps, mais qu'elle soit bien jouée."

Sénèque
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''Un artiste n'est pas un ouvier du divertissement qui compte ses heures, il se consume au feu de sa passion.''

Bartabas
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« Une pièce de théâtre, c’est quelqu’un. C’est une voix qui parle, c’est un esprit qui éclaire, c’est une conscience qui avertit ».

Victor Hugo, extrait de Faits et croyances
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« Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »

William Shakespeare, extrait de Comme il vous plaira

mercredi 3 mars 2010

"Le Dieu du carnage" Yasmina Reza - Le Dieu du carnage conjugal - S. Klutz


L'histoire tient en quelques mots. Ferdinand, onze ans, a violemment frappé au visage avec un bâton un enfant du même âge, Bruno. Plutôt que de porter l'affaire en justice, leurs parents respectifs ont préféré se rencontrer pour trouver un arrangement…

La pièce ne révolutionne pas les consciences, s’étirant sur 1h30 une idée simple et vraie se tisse : sous chacun des deux couples hypercivilisé sommeille un sauvage qui s’ignore.

« Ferdinand a cassé deux dents "armé d’un bâton" à Bruno ». On démarre sur cette phrase, pas "armé", "muni", dit le père de Ferdinand, il s’agit donc d’une réunion de conciliation des deux ménages pour tenter de trouver une solution amiable avant la valse des avocats et des assurances.

Des alliances de circonstance se font et se défont entre les deux couples. Des dissensions apparaissent au sein des couples. Entre la bienséance et l'envie d'en découdre, qui l'emportera ? Le moindre écart de langage, car c'est évidemment de cela, et rien que de cela qu'il est question, sera fatal.

Du coté des spectateurs, dans la salle, murmures et gloussements se font entendre à chaque réplique choc, à chaque trait bien rendu par la mise en scène. Mais ce n’est pas le texte où la mise en scène qui est ainsi remarqué, comme je commence à le comprendre, c’est l’action elle-même, exactement comme si elle avait lieu en vrai et que chaque spectateur se trouvait aussi dans le salon en train de participer a ce règlement de comptes. Et la preuve en est que lorsque la maman de Ferdinand, exaspéré par son mari et son addiction au téléphone mobile, balance ce dernier dans le vase plein d’eau, la moitié de la salle applaudit vigoureusement à ce geste salutaire : enfin, il ne va plus nous enquiquiner, celui-là ! Parce que ce téléphone portable était plus dérangeant que cent téléphones vibrant dans une salle de cinéma.

La pièce possède une caractéristique : elle est aérée de silences pour faire vrai comme dans la vie, on ne se connaît pas, il y a des blancs dans la conversation, sauf qu’ici, ces blancs, on les traîne du lever de rideau au salut final des acteurs, des petits silences tellement fréquents et réguliers qu’on finit par les attendre… Sans entracte, la pièce démarrant à 20h45, à 22h20, on est dans la rue. On ne s’ennuie pas, on passe un moment sans ennui, à rire, à observer les deux couples se chamailler, pleurer, picoler, plus pour deux dents et un bâton mais pour des problèmes au sein même du couple.

Yasmina Reza nous révèle l'oeuvre du dieu du carnage: celui qui maîtrise nos instincts les plus viles. La violence qui sommeille en nous est toujours prête à faire irruption, et il n'en faut pas beaucoup pour la réveiller! Ainsi, chacun perd peu à peu le contrôle, le sens des limites sociales, s'excite, s'énerve. On a l'impression de voir enfin son vrai visage, mais - changement de plan - on se retrouve projeté encore plus loin, dans une autre direction... Ce ping pong dramatique que Yasmina Reza nous propose est révélateur et réaliste : grâce à son humour décalant et à son thème familier. On ne peut qu’aimer ! Le spectateur, devient un Dieu conquis.