Si vous ne pouvez pas aller au théâtre ce soir, pas de panique… Le théâtre est aussi là, tout près, juste à côté. Ouvrez les yeux, la pièce va commencer !

"La vie est une pièce de théâtre: ce qui compte, ce n'est pas qu'elle dure longtemps, mais qu'elle soit bien jouée."

Sénèque
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''Un artiste n'est pas un ouvier du divertissement qui compte ses heures, il se consume au feu de sa passion.''

Bartabas
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« Une pièce de théâtre, c’est quelqu’un. C’est une voix qui parle, c’est un esprit qui éclaire, c’est une conscience qui avertit ».

Victor Hugo, extrait de Faits et croyances
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« Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles. »

William Shakespeare, extrait de Comme il vous plaira

mercredi 31 mars 2010

"La Menzogna" Pippo Delbono - La Menzogna, (le Mensonge) démasqué ! - S. Klutz




Un fait d’actualité scandaleux est à l’origine du spectacle : en 2007, à Turin, sept ouvriers brûlent dans l’incendie qui ravage l’usine Thyssen-Krupp. Les dirigeants de cette usine trop vétuste veulent faire croire que les employés n’ont pas veillé au renouvellement des normes de sécurité et tentent d’acheter leur silence. Pippo Delbono, inspiré par la tragédie que vivent les victimes d’accidents au travail, invente alors sa propre usine de théâtre. Un lieu de morts, d’amour et de vices, plongé dans la nuit et peuplé de marginaux : prostituées, homosexuels, ouvriers qui aboient et autres « fous » qui miaulent. Le metteur en scène y enferme ses visions d’un monde en folie.

Dans la première scène, qui dit tout en quelques minutes, Pipo nous plonge dans un vestiaire sinistre où des ouvriers défilent lentement au début, de manière réaliste, avant d'être emportés, à mi-spectacle, dans une danse énergique et dénudée, sur des rythmes trépidants de Stravinsky. Entre-temps deux vidéos nous délivrent le message social de base: un curé progressiste fait la critique radicale du capitalisme financier alors qu'une pub « mensongère » (signification du titre) du groupe Thyssen-Krupp achève de nous écœurer.

On assiste à un théâtre traversé par les fantômes de Kantor, Pina Bausch, Pasolini, constitué principalement d’images, de tableaux où les corps parlent plus que les mots. Un théâtre où l’on se sent irrésistiblement libre. Libre d’être subjugué par la beauté plastique du spectacle, de se laisser entrainer par les émotions changeantes qu’il procure, de rêver sur la bande son musicale enveloppante, de penser au monde dans lequel on vit. De faire des allers-retours entre la scène et la vie. Un véritable cadeau.

Pippo Delbono est ici à la hauteur de ce qu’il dénonce, titan contre l’ordre tyrannique d’un Occident qui tétanise les esprits à force de justement les assaillir d’images. Le Mensonge s’enracine dans un réel, celui de la mort de sept ouvriers calcinés par le brasier industriel de l’usine ThyssenKrupp, que viennent éclairer la fiction, les références artistiques, les propres mensonges et les propres omissions avouées de l’auteur. « Je demande aux gens de faire des efforts pour tâcher d’être plus lucides. » dit Pippo Delbono qui, en toute conscience et en toute colère, joue de l’inquiétude, du déséquilibre, de l’inconfort et de la violence.

Bref, Delbono invente un nouveau spectacle de la révolte, en pervertissant les codes du théâtre. Après l’ouverture silencieuse et lente de la Menzogna, la mise en scène de la violence s’installe durablement. Le tissu sonore, qui mêle tango, opéra, Stravinsky, Wagner et Juliette Greco, se charge d’ailleurs de maintenir tension dramatique et émotion tout au long de la pièce. On assiste donc, à un travail fabuleux sur la voix, le geste, le rythme et l’espace de jeu. A voir !

Sophie Klutz